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Le chapitre 6

  • cedricdemylo
  • 27 oct.
  • 4 min de lecture

Il y a des chapitres qui s'écrivent d'une traite, portés par une force qui vous dépasse. Des moments où les doigts courent sur le clavier, où les mots surgissent plus vite que la pensée, où l'on se surprend soi-même à retenir son souffle devant ce qui est en train de naître sous ses yeux. Le chapitre 6 de Varennes a été de ceux-là.

Après des semaines à poser patiemment les pions sur l'échiquier : la fuite nocturne, les routes poussiéreuses, les relais de poste, l'angoisse sourde qui monte, tout se cristallise enfin dans la cour d'un modeste relais de Champagne, alors que le soleil du couchant embrase les toits d'ardoise.

Quand les destins se croisent

Il y a quelque chose de vertigineux à écrire la scène de rencontre. Celle où deux êtres se voient pour la première fois et où, sans le savoir encore vraiment, quelque chose bascule. Une berline s'arrête dans un nuage de poussière. Un homme saute de son siège avec cette élégance qui ne trompe personne. Un jeune garçon d'écurie, pieds nus dans la terre chaude, lève les yeux. Leurs regards se croisent.

Et tout change. Ou tout pourrait changer. Ou rien ne changera. Qui sait ?

J'ai pris mon temps pour construire Étienne dans le chapitre précédent. Ses rêves d'ailleurs, sa grâce indocile, cette façon qu'il a de marcher pieds nus comme un défi silencieux au monde qui voudrait l'enfermer. Je voulais qu'on le connaisse avant , qu'on comprenne qui il est, d'où il vient, ce qui lui manque, pour mesurer pleinement ce qui se joue dans l'instant où il croise le regard d'un étranger.

Adrien, lui, était déjà là depuis le début. Noble désargenté au service du roi, élégant même sous la crasse des chemins, à la fois léger et grave. Mais je ne savais pas, en écrivant les premiers chapitres, qu'il portait en lui une quête silencieuse. "Quelque chose lui manquait, quelque chose qu'il ne savait encore reconnaître." Cette phrase s'est imposée au chapitre 4, comme une confidence involontaire du personnage. Et soudain, j'ai compris qu'il cherchait sans savoir quoi. Que sa vérité était ailleurs que dans les bras des femmes qu'il avait connues.

L'art du trouble

Écrire une attirance naissante est un exercice délicat. Trop explicite, cela devient vulgaire. Trop allusif, cela disparaît. Il faut trouver ce point d'équilibre fragile où tout est dit sans être dit. Les regards qui s'attardent. Une chaleur inattendue qui monte aux joues. Un sourire qui effleure les lèvres. Des silences qui en disent plus long que tous les mots.

J'ai écrit et réécrit leur dialogue dans l'écurie. Les mots devaient être légers, presque badins, une conversation sur des chevaux et des pieds nus, tout en portant cette charge électrique qui fait que le lecteur sent que quelque chose est en train de se nouer. Quand Étienne lance avec insolence "Moi, je vais léger… comme un vrai va-nu-pieds", et qu'on devine un sourire dans les yeux d'Adrien... c'est là. Le premier accord. Ou peut-être juste un malentendu ? Le lecteur devra juger.

Et puis, ce moment où tout s'accélère. Étienne sort une pièce usée de sa poche, l'effigie de Louis XVI entre ses doigts. Il la montre discrètement à Adrien. "Mais vous avez l'air d'accompagner un homme bien remarquable." Le danger entre dans la scène. La fuite du roi n'est plus seulement l'arrière-plan historique, elle devient le moteur même de ce qui va suivre.

Le vertige du « Monseigneur »

Il y a eu ce débat avec moi-même sur la façon dont Étienne devait prononcer cette phrase : "Étienne Bertrand, pour vous servir, Monseigneur."

Devait-il être déférent ? Ironique ? Impertinent ? Finalement, le mot s'est imposé : cérémonieusement. Et surtout : sans quitter son interlocuteur des yeux.

Ce regard soutenu change tout. Ce n'est plus de la simple politesse, ni même de l'ironie. C'est une affirmation. Un va-nu-pieds qui regarde un noble dans les yeux et l'appelle « Monseigneur » avec cette gravité sereine... c'est un acte de reconnaissance, mais aussi d'égalité revendiquée. Je sais qui vous êtes. Vous savez qui je suis. Nous nous voyons.

Ce qui se passe dans le cœur d'Adrien à cet instant ? Je vous laisse le découvrir par vous-même. Mais disons simplement que cette scène a été l'une des plus intenses à écrire.

Quand le cœur parle avant la raison

Et puis, la berline repart. Drouet envoie ses hommes à Varennes pour tendre un piège. Tout semble dit, joué, fini.

Mais Étienne reste dans la cour vide, le cœur battant. Et là, quelque chose se passe. Quelque chose que je ne peux pas vous révéler sans gâcher le plaisir de la lecture, mais qui m'a donné l'une des scènes les plus belles à écrire de tout le roman jusqu'ici.

J'ai adoré construire cette séquence. Les gestes précis d'un jeune homme qui prend une décision. La complicité avec Biscuit, son cheval préféré. Cette phrase murmurée à l'oreille de l'animal : "Mon brave Biscuit, je compte sur toi." Cette tendresse dit tout de la solitude d'Étienne, de sa capacité à aimer, de son courage aussi.

Et ce moment où il franchit un seuil. Où il choisit. Où il bascule.

"Il n'avait pas réfléchi : son cœur avait parlé avant sa raison."

Voilà. C'est dit. Étienne vient de faire un choix. Un choix fou, audacieux, peut-être désespéré. Un choix qui va changer sa vie et peut-être celle d'autres aussi. Mais je ne vous en dis pas plus.

L'ivresse de la bascule

Écrire ce chapitre a été grisant parce que tout y converge. Les fils narratifs se nouent. Les personnages, jusqu'ici en construction, trouvent leur vérité. La grande Histoire (la fuite de Varennes) rencontre les destins individuels. Le collectif croise l'intime.

Et surtout, on sent que rien ne sera plus comme avant. Que la porte vient de se refermer sur le monde d'hier. Que l'aventure, la vraie, celle qui transforme, celle qui brûle, celle qui ne pardonne pas, vient de commencer.

C'est exactement pour écrire ce genre de chapitres, ceux où tout bascule, où les cœurs s'emballent, où l'on sent que quelque chose de grand et de fragile vient de naître, que j'écris des romans.

Le chapitre 7 m'attend. Je ne sais pas encore tout ce qui va s'y passer. Enfin... disons que je le devine. Mais les personnages me surprennent toujours.

Et vous, lecteurs, vous me surprendrez peut-être aussi par vos réactions.



ree

 
 
 

1 commentaire

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Olivier Moliere
29 oct.
Noté 5 étoiles sur 5.

Je trouve cela génial que tu nous partages ton processus d'écriture. C'est passionnant. Merci.

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